2021 : le télétravail au risque de casser nos droits ?
Avec la pandémie il y a désormais 10 000 agent-e-s en télétravail contre 2000 il y a un an.
Profitant de la crise sanitaire, la Ville veut généraliser le télétravail "en situation ordinaire", via la validation dès février d’un accord cadre bâclé. Il est pourtant indispensable de prendre le temps d’analyser les impacts du télétravail sur les conditions d’exercice de nos missions, leur sens, notre santé et les risques qu’il peut générer notamment psychosociaux.
Une généralisation à marche forcée
Dès ce 1er semestre toutes les directions, tous les services seraient sommés de lister toutes les activités télétravaillables (liste complétée chaque année) y compris "pour certaines fonctions habituellement non télétravaillées". Chaque chef de service devrait élaborer au plus vite un projet d'organisation du télétravail (jours à favoriser pour le télétravail, modalités du suivi de l'activité des agent.e.s,..). Une surcharge de travail non négligeable pour les encadrant-e-s ! Lors du recrutement d'un agent, la fiche de poste préciserait les activités télétravaillables.
Toutes ces décisions pourraient donc être prises sans bilan ni association des agent.e.s !
Des agent-e-s responsables de leurs conditions de travail, le télétravail moins réglementé
À la place de recommandations ou de normes collectives que les agent.e.s peuvent faire valoir pour des conditions de travail dignes (surface de bureau, ergonomie du mobilier, ambiance thermique, pauses, ...), dans le projet de document cadre chacun est renvoyé à sa responsabilité individuelle : aménager « confortablement » son espace de travail, respecter les recommandations en matière de déconnexion, de prévention des RPS, des TMS... À l'agent.e de s'adapter, et non plus à l'environnement de travail d'être adapté à l’agent.e par l'employeur. Si on travaille trop ou n'arrive pas à faire face, ce ne sera pas lié à la déréglementation horaire, aux missions et objectifs trop importants... Ce sera de sa faute.
Cette individualisation est un puissant facteur d'inégalité de traitement (espace disponible, type de mobilier, selon son revenu et la surface de son habitation, charge familiale ou pas,...). Le télétravail peut aussi représenter de substantielles économies pour la Ville : de surfaces, de nettoyage, de maintenance, de mobilier. Pour une indemnité de 10 euros par mois, l'employeur disposera chez le télétravailleur d'un espace de travail quasi gratuit à sa disposition ! Ce n'est pas acceptable !
Des agents sont mal logés (logements trop petits, indécents) et il serait contraire aux règles de sécurité et du droit du travail de laisser des agents télétravailler dans ces conditions. Il conviendrait par ailleurs d’équiper correctement les télétravailleurs de la Ville, (mobilier adapté, casque, micro etc….).
Plus inquiétant encore, le projet de la Ville relève d’une volonté de déréglementation du télétravail.
Le chef de service déciderait des jours de télétravail fixes ou "flottants" qu'il pourrait déplacer avec un préavis de 48h (réduire le temps hebdomadaire télétravaillé, le reporter à une autre semaine).
Si le temps télétravaillé n'est pas censé être supérieur au temps de travail en présentiel, le document parle d'une "règle générale" et envisage bien des heures supplémentaires en télétravail (avec accord de l'encadrant).
Si le télétravail peut aller jusqu'à 3 jours par semaine, ici aussi il s'agirait d'une "règle générale". Car ces jours seraient comptés par mois. L'agent.e pourrait être en télétravail pendant une durée plus importante, une à deux semaines hors du lieu de travail.
Les pouvoirs du chef de service seraient largement accrus (décision de valider ou non une demande de télétravail, enjeu du télétravail lors du recrutement, droit de moduler les jours de télétravail en cas de demande jours ponctuels de congés).
Un télétravail vraiment choisi ?
L'aspiration de collègues à bénéficier du télétravail peut être légitime. Mais généraliser le télétravail à marche forcée présente le risque d'une transition sans précédent vers un travail plus flexible, avec des agent.e.s moins protégé-e-s et plus soumis-e-s aux injonctions et aux pressions de l'employeur et de leur hiérarchie.
Au-delà de la question des temps de transport (et de l'absence de logements abordables à Paris ou proche banlieue !), beaucoup de collègues qui "choisissent" le télétravail le font pour échapper à un contexte de travail difficile (promiscuité des Open Space, sollicitations permanentes et nombreuses, relations conflictuelles, mauvaises conditions thermiques,...).
Plutôt que d'améliorer les conditions de travail, le télétravail devient une variable d'ajustement que la Ville utilise par rapport à la souffrance au travail.
Notons aussi que les femmes sont beaucoup plus nombreuses à demander le télétravail, le plus souvent pour « concilier vie professionnelle et vie familiale ». Le développement du télétravail pourrait donc indirectement favoriser l'inégal partage des tâches dites domestiques, éloigner des femmes des sites et collectifs de travail, rendre moins visible leur travail.
Déstructuration du Collectif et surcharge de travail : attention danger !
Et le confort "gagné" en télétravail (ou plutôt l'éloignement d'un contexte de travail difficile) peut aussi signifier un éloignement et une déstructuration du collectif et des solidarités au travail, dangereux pour les agents.
Le collectif de travail est ce qui donne sens à son travail, par ce qu'on pense et invente avec d'autres pour améliorer les missions, par ce qu'on transmet à d'autres, par la reconnaissance de collègues, les liens de solidarité.
Pour les agent.e.s, le collectif de travail c'est aussi un "témoin" et un moyen de faire entendre une parole critique, de résister aux injonctions parfois contradictoires de l'employeur, d'évaluer les demandes qui impliquent une surcharge de travail qui met à mal notre santé ou la qualité de nos missions, un moyen d'y résister.
La multiplication de situations de télétravail dans un service peut signifier la déstructuration du collectif de travail, par la raréfaction de réunions d'équipes et des échanges informels (qu'on ne se recrée pas via un "café virtuel"). Par effet cumulatif, cela peut entraîner une atomisation des agent.e.s et des rapports très individualisés avec le supérieur hiérarchique.
Le risque est réel qu'à défaut de mesurer le temps de travail sur site, ce soit le contrôle du travail effectué par chacun qui se renforce (en devant rendre compte toujours et pour tout, par des tableaux, du reporting ++). Le management « par objectifs » pourrait s'imposer (on vous donne des objectifs et un timing, pour le reste débrouillez-vous !), et la charge de travail pourrait augmenter (y compris pour les encadrants). Dans un contexte où il faut en faire toujours plus avec moins de personnel, le temps gagné dans les transports pourrait être perdu…
De vraies négociations, des règles qui protègent
Le calendrier imposé par la Ville est inacceptable : une vraie négociation doit s'ouvrir, sur la base d’un bilan à réaliser dans toutes les directions, tous les services, d’une analyse des conditions de télétravail associant les agent.e.s, les CHSCT et les professionnels de la prévention (préventeurs des BPRP, médecins du travail, psychologues du SAM, Inspecteurs SST). Le CHSCT central doit évidemment être consulté.
Il faut construire de règles et des dispositifs qui protègent les agent-e-s et qu'en matière de santé, sécurité et de conditions de travail, le télétravail ne soit pas l'occasion de transférer les responsabilités de l'employeur vers les agent.e.s (exemple des dispositifs automatiques pour ne plus recevoir de sollicitations professionnelles en dehors des heures de travail).