Concentration dans le secteur de l’édition, la cancel culture des milliardaires et de l’extrême-droite
Avoir une politique d’acquisition indépendante des pressions politiques ou économiques, assurer le pluralisme des collections constituent les fondamentaux de l’éthique des bibliothécaires :
https://www.abf.asso.fr/1/173/342/ABF/devoir-de-pluralisme-en-bibliotheque-l-abf-vigilante
Impossible alors de faire l’impasse sur le contexte actuel.
Il n’y a jamais eu une telle concentration des maisons d’édition en France.
Ces 10 dernières années, des groupes financiers détenus par des milliardaires ont pris le contrôle de nombreuses maisons d’édition historiques (en 2023 Hachette a été racheté par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré).
En France, le marché de l'édition (publications et distribution des livres) est aujourd'hui dominé par quatre grands groupes : Hachette Livre, Editis, Madrigall, et Média-Participations (3/4 du marché, 300 marques historiques).
- Hachette Livre (Vivendi de Bolloré) : 150 marques, dont des maisons emblématiques comme Grasset, Fayard, et Stock (chiffre d'affaires de 2,8 milliards d’euros en 2023).
- Editis (Groupe CMI du milliardaire Daniel Křetínský) : 55 maisons d'édition dont Plon, Robert Laffont, La Découverte.
- Madrigall : Gallimard, Flammarion, les éditions de Minuit ou P.O.L. Le groupe LVMH du milliardaire Bernard Arnaud en est actionnaire.
- Média Participations : Dargaud et Dupuis, le groupe La Martinière - Le Seuil. Outre Michelin et Axa Assurances qui en sont actionnaires, le capital est majoritairement contrôlé par la famille Montagne très liée à…la famille Michelin.
Le pluralisme mis à mal
Les actionnaires de ces maisons d’édition leur imposent des impératifs de rentabilité (des produits qui se vendent bien et vite et pour lesquels d’énormes moyens de promotion sont déployés).
Les éditeurs indépendants doivent faire face à une concurrence déloyale.
Les grands groupes peuvent imposer des prix de vente inférieurs grâce notamment à leur capacité à amortir les pertes sur d’autres domaines (le luxe, les assurances…).
Ces mêmes groupes contrôlent aussi la distribution, ils imposent leurs conditions (accords privilégiés avec les principales chaînes de librairies et plateformes en ligne, ou même rachat par Vivendi (Bolloré) des points de vente Relay dans les gares).
La concentration économique et les pressions mettent à mal le pluralisme.
Des auteurs se voient refuser la publication de leur dernier écrit par leur maison d’édition.
Le président des éditions du Seuil (groupe Média Participations depuis 2018) est licencié car « trop à gauche ».
D’après Le Monde, Nicolas Sarkozy (administrateur du groupe Lagardère dont Vivendi est devenu un actionnaire majeur) fait pression sur les éditeurs du groupe Hachette par rapport aux affaires judiciaires dans lesquelles il est mis en cause.
Concentration médiatique, l’extrême-droite à l’offensive
Dans un contexte de concentration médiatique, des grands groupes contrôlent à la fois la presse, la radio, la télévision et l’édition (90% des grands médias nationaux appartiennent à 9 ultra-riches).
Ces grands groupes imposent aussi leurs visions politiques souvent de droite et de plus en plus souvent d’extrême droite…
Vivendi (Vincent Bolloré) a racheté I télé devenu Cnews, il a racheté le Journal du dimanche confié aux journalistes de l’hebdo d’extrême-droite Valeurs Actuelles, il a racheté Fayard (pour publier Zemmour et Bardella) puis les points de vente Relay dans les gares (pour le diffuser)).
En juin dernier Hachette a annoncé la nomination de Lise Boëll, éditrice d’extrême droite et proche de Bolloré, à la tête des éditions Fayard, maison longtemps marquée à gauche.
Le milliardaire catholique conservateur Pierre-Edouard Stérin souhaite lui aussi peser dans l’industrie du livre. Son plan « Périclès » prévoit de dépenser des centaines de millions d’euros pour notamment créer un réseau de centaines de librairies et des milliers d’ « évènements culturels locaux » pour lutter contre « le wokisme, le socialisme, l’immigration, l’islamisme ou la théorie du genre " (Périclès pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes »).
Défendre la « bibliodiversité » !
Des éditeurs indépendants ont permis de faire connaître des auteurs/trices refusé.es par de grandes maisons d’édition. Ils permettent l’expression de points de vue critiques.
Face à la concentration économique/idéologique en cours, et au regard des valeurs du métier (indépendance, pluralisme) les bibliothécaires ont un rôle majeur pour continuer à faire vivre le pluralisme culturel et la vie démocratique, notamment par la promotion d'éditeurs indépendants
La baisse des budgets pour le réseau parisien serait d'autant plus inacceptable qu'elle pourrait se traduire par des politiques documentaires qui réduisent la part des éditeurs indépendants.
Nous devons maintenir et promouvoir la bibliodiversité contre la monoculture du secteur ultra concentré partout où c'est possible et malgré ces temps austéritaires.
Il est plus que jamais nécessaire de faire vivre au sein de la profession le débat et la réflexion au sujet du pluralisme, de la bibliodiversité et des outils pour les faire vivre et défendre nos choix, et notre syndicat peut y contribuer.
La section DAC du SUPAP-FSU